Avis d'experts

Christophe Wagnière, entre passion, résilience et innovation. Immersion au-delà des codes avec le fondateur de l’école 42 Lausanne

Christophe Wagnière. © Niels Ackermann

SWITTY : Bonjour Christophe, merci beaucoup de nous accorder cette interview. Pourriez-vous vous présenter brièvement à nos lecteurs ?

Christophe Wagnière Bonjour, Christophe Wagnière, fondateur et capitaine du campus 42 Lausanne, explorateur, chef de projet, manager et formateur en informatique depuis 25 ans, un peu fou…

SWITTY : Et, comment décririez-vous votre philosophie de vie en trois mots ?

Christophe Wagnière Travail, gentillesse et passion.

SWITTY : Quel est votre livre préféré et pourquoi cette préférence ?

Christophe Wagnière La série Black et Mortimer en bandes dessinées, car cela me rappelle mon enfance, ma passion pour la technique et pour les histoires fantastiques.

SWITTY : Intéressant. Qu’est-ce qui vous a poussé à vous engager dans la formation en informatique ?

Christophe Wagnière  La qualité des profs 🙂 Lorsque j’ai fait mon brevet fédéral, j’étais un peu énervé que certains profs n’avaient pas une vision globale de la formation que nous visions et le directeur de l’ISEIG m’a dit que si je pouvais faire mieux, la place était à moi… Depuis, cela reste un challenge de trouver des profs motivants, compétents et disponibles en informatique. C’est pourquoi une école sans prof, cela m’a semblé plus réaliste.

SWITTY : En tant que leader, comment gérez-vous le stress et les défis quotidiens ?

Christophe Wagnière Après un premier burn-out il y a 15 ans, je continue de travailler sur moi pour ne pas dépasser mes limites. Le sommeil (7 à 8 heures par nuit), le sport, les vacances ou les week-ends en amoureux sont mes espaces de respiration. Et j’essaie de travailler mon calme avec de la méditation et d’éviter de bouffer mes soucis.

© Niels Ackermann


Après avoir partagé quelques éléments sur la propre expérience de Christophe Wagnière et de ce qui l’anime au quotidien, nous allons maintenant en apprendre davantage sur son parcours.


SWITTY : Parlons parcours. Qu’est-ce qui vous a motivé à créer l’école 42 en Suisse romande ?

Christophe Wagnière Depuis 25 ans, je peine à engager des talents dans mes équipes informatiques et j’ai souvent rencontré des pépites au sein de personnes qui s’étaient formées sur le tas. Alors quand j’ai découvert que l’on pouvait leur proposer une formation basée sur l’autonomie et la volonté, avec un cursus sérieux… je me suis dit OK!

SWITTY : Y a-t-il eu des moments clés ou des tournants marquants de votre carrière ?

Christophe Wagnière Chaque démission ! Ou chaque changement de poste. Je relèverai 4 moments clés : la création de ma première start-up en 1996, mon rôle de responsable des développements des plates-formes e-banking en 2002, mon job de DSI à la HES-SO en 2017 et l’inauguration de 42 Lausanne le 6 juillet 2021.

SWITTY : Quelle est la décision la plus difficile que vous ayez prise dans votre carrière ?

Christophe Wagnière Accepter que je devais m’arrêter lorsque j’étais en burn-out, et que ce n’était ni un échec, ni la fin de ma carrière professionnelle. Et surtout accepter qu’il ne fallait pas recommencer comme avant.

SWITTY : Expliquez-nous, qu’est-ce qui vous a le plus marqué lors de votre passage chez IBM ?

Christophe Wagnière Le costume-cravate ! Lorsque les gars d’IBM sont arrivés pour gérer le rachat d’Unicible, ils étaient tous en costard et avaient l’impression qu’ils étaient supérieurs. Pour la première fois de ma vie, je me suis dit que c’était le costume qui faisait le moine et je suis allé m’acheter des costards. Le 1er jour de travail, j’ai mis pour la deuxième fois de ma vie un costume, et je l’ai mis tous les jours jusqu’à la fin de mon contrat à IBM. Et j’ai été promu manager grâce à cela 🙂

SWITTY : Et à propos de 42 Lausanne, quels ont été les défis majeurs rencontrés lors de sa création ?

Christophe Wagnière Honnêtement, on en a eu plein. Le premier a été de démarrer en janvier 2020 en pensant que la grippette qui venait de Chine allait passer. Puis de trouver des entreprises prêts à soutenir financièrement ce projet alors que nous étions en plein COVID. Puis de prendre le risque de lancer le projet alors que nous n’avions pas encore sécurisé le financement. Puis de construire un campus en pleine pénurie des matières premières dans un bâtiment en totale rénovation avec un délai de 6 mois pour ouvrir… puis d’éviter un burn-out collectif et individuel, avant de continuer à cravacher pour boucler le budget.

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Après avoir évoqué en détail le parcours atypique de Christophe Wagnière et ses motivations, dirigeons-nous maintenant vers une institution qui a joué un rôle majeur dans son évolution : l’école 42.


SWITTY : Nous aimerions comprendre, pouvez-vous nous expliquer la philosophie pédagogique de l’école 42 ?

Christophe Wagnière L’idée simple est que n’importe qui est un potentiel codeur, indépendamment de son historique scolaire ou professionnel. Et que vu qu’il y a une pénurie de talents, il faut leur proposer une école qui s’affranchit des codes habituels, qui leur permet d’y rentrer en fonction de leurs compétences et potentiels et non de leurs diplômes, sans frais et avec une pédagogie différente qui valorise le plaisir et l’entraide au détriment du bourrage de crâne et d’une hiérarchie du savoir théorique. Une école sans profs, ce n’est pas un but en soi, mais c’est un moyen pour permettre à un maximum de personnes d’apprendre en collaborant, sans contraintes d’horaires et donc avec un maximum de liberté. Et cela fonctionne depuis 10 ans, avec un taux d’employabilité de 100%.

SWITTY : Quelle est précisément la mission de l’école 42 en Suisse romande ?

Christophe Wagnière Notre mission est de permettre à chacun.e de tenter sa chance dans une formation numérique, sans barrière ni discrimination d’aucune sorte. Et le pendant de cette mission, c’est de permettre aux entreprises de Suisse romande de trouver les talents qui leur font cruellement défaut.

SWITTY : Et pour nos lecteurs, quel est le profil type d’un étudiant de l’école 42 ?

Christophe Wagnière  Il n’y en a pas.

SWITTY : En quoi l’école 42 se distingue-t-elle des autres établissements de formation en informatique ?

Christophe Wagnière : Clairement car nous avons supprimé les profs ! Ainsi les élèves ne peuvent pas dire que s’ils ne savent pas c’est la faute des profs ! C’est leur responsabilité d’apprendre et de savoir faire. C’est à nos étudiant.e.s de trouver les ressources, en eux, dans les collègues, sur internet ou n’importe où ailleurs, pour apprendre et progresser. Ainsi, toute leur vie, ils pourront s’améliorer.

SWITTY : Comment l’école 42 aide-t-elle les étudiants à développer non seulement des compétences techniques, mais aussi une mentalité d’adaptabilité face à la digitalisation?

Christophe Wagnière Notre méthode se base sur l’apprentissage par l’échec, le changement permanent, la solidarité, l’excellence dans la rigueur, la résilience à se prendre des baffes et à se relever, et le plaisir dans cette expérience qui se passe dans un environnement safe, sympathique et lié au monde réel de l’entreprise. Notre programme s’adapte régulièrement et nos étudiant.e.s peuvent construire leur cursus à la carte. De plus, toute leur vie, ils pourront revenir se former gratuitement et aux horaires de leur choix dans l’une des écoles 42 dans le monde.

SWITTY : Comment voyez-vous l’avenir de l’école 42 ?

Christophe Wagnière Nous avons pour objectif d’être une centaine de campus dans le monde d’ici 2030, de continuer à révolutionner la formation en informatique en adressant notamment la formation professionnelle (cette fois-ci payante) afin de permettre à celles et ceux qui n’ont plus les bonnes compétences de se mettre à jour. Et d’étendre nos expériences à d’autres domaines.

SWITTY : Auriez-vous une réussite majeure ou un souvenir précieux de l’école 42 à partager ?

Christophe Wagnière Le dernier qui me vient en tête, c’est vendredi 4 août, dernier jour de la Piscine de juillet 2023, un étudiant qui vient me dire (alors que j’étais occupé à faire des pizzas pour une centaine de personnes) MERCI ! Car il avait trouvé un stage à la Banque Cantonale Vaudoise (l’un de nos partenaires), que tout cela avait changé sa vie et celle de nombreuses autres personnes. C’est difficile de faire des pizzas les yeux humides !

SWITTY : Un dernier conseil pour un étudiant qui envisage de s’inscrire à l’école 42 ?

Christophe Wagnière Just do it !

© Niels Ackermann

Après avoir exploré les particularités de l’école 42 et de son approche novatrice de l’enseignement en informatique, tournons notre regard vers l’horizon élargi : l’avenir des développeurs et développeuses informatiques en Suisse.


SWITTY : À votre avis, quelles compétences les développeurs devraient-ils acquérir pour rester compétitifs dans le futur ?

Christophe Wagnière La flexibilité, l’ouverture à la différence (notamment par rapport aux non informaticiens), la rigueur et la résilience.

SWITTY : Quel conseil donneriez-vous à quelqu’un qui veut devenir développeur aujourd’hui ?

Christophe Wagnière C’est un métier génial, loin des stéréotypes que nous connaissons, car il mélange de nombreuses compétences humaines et techniques. Il faut essayer pour voir, suivre la voie qui s’offre à chacun.e, et si cette voie est « 42 », venir faire une piscine.

SWITTY : Selon vous, comment la formation des développeurs doit-elle évoluer ?

Christophe Wagnière Nous devons la mettre à jour continuellement, notamment pour intégrer les défis de l’Intelligence artificielle, non seulement au niveau de la création d’algorithmes de plus en plus complexes, mais aussi dans l’utilisation des outils nés de ces développements afin de rendre les projets plus efficaces et plus qualitatifs. Et enfin, il va falloir faire un gros effort sur l’impact écologique de nos développements, car aujourd’hui ce n’est pas un sujet, alors que le monde doit se disrupter dans ce domaine majeur.

SWITTY : Quels domaines semblent les plus prometteurs pour les développeurs dans les années à venir ?

Christophe Wagnière : Cela dépend tellement des intérêts de chacun.e que c’est difficile. Si la question concerne les domaines où il y aura le plus de jobs, je dirais honnêtement que la 3D et ses avatars, l’intelligence artificielle et sa data science ou encore la cybersécurité sont trois domaines stratégiques dans lesquels j’investirais mon temps si j’étais développeur.

SWITTY : Quel est l’impact de l’intelligence artificielle et de l’apprentissage automatique sur le rôle des développeurs ?

Christophe Wagnière Cela va leur permettre d’aller plus vite, de manière plus large, sans pour autant changer leur vie en profondeur. L’erreur serait de croire que chatGPT pourra remplacer un développeur. Je sais que c’est le rêve de certains managers, c’était déjà le cas il y a 20 ans avec les moteurs de workflow ou les L4G… Mais l’AI permettra à peine de permettre de suivre le rythme en progression exponentielle des projets à réaliser et des applications à maintenir. C’est comme lorsque les UX specialists sont arrivés dans les équipes, un nouveau collègue et on continue comme avant.

SWITTY : Pour conclure, quelle est votre vision du futur des développeurs et développeuses en Suisse romande ?

Christophe Wagnière Beaucoup de travail, beaucoup de challenges, un besoin énorme d’investir du temps dans la formation continue, quelques désillusions et un niveau de salaire toujours enviable.


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Découvrir l’interview de Serge Reymond, Président de l’école 42


Mark allie une expertise en technologie, stratégie informatique et productivité à un engouement pour l'innovation et la transformation numérique. Toujours en quête de solutions technologiques pour booster l'efficacité en milieu professionnel, il trouve également son inspiration à travers une lecture variée qui nourrit son esprit critique et sa vision globale. Son expérience et sa passion l'ont naturellement mené à devenir chroniqueur pour le magazine SWITTY, où il partage régulièrement ses perspectives, conseils et interviews.

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